Taxer les CDD ? Mais pour qui roule donc l’Etat ?

16 mars 2016   Bertrand Figuier   Aucun commentaire   À la une    CDD, Fabrice Dariot, Loi El Khomry, ubérisation    3091 vues

Alors comme ça, pour rassurer « les jeunes » à propos des effets délétères de la Loi El Khomry, on songe à taxer les CDD ! Il paraît que cela incitera quasi « mécaniquement » les entreprises à embaucher en CDI… La belle idée !

D’abord, ce type de contrat est déjà taxé, autour 10 % il me semble. Alors forcément, on s’étonne que nos politiques et nos experts ne le sachent pas ou pire, fassent comme si ce n’était pas le cas.

Ensuite, le CDD est quand même très adapté pour des activités saisonnières, comme le tourisme, la restauration et le spectacle, ou encore pour les services qui travaillent le plus souvent à partir de mission précises, comme dans l’informatique ou le numérique.

Et oui dans certains secteurs, le travail n’est pas linéaire à l’année, et parfois, il exige ponctuellement un expert qu’on ne peut garder au-delà de sa mission.

Certaines entreprises de services sont justement spécialisées sur ce marché du « travail à la tâche », les SSII par exemple.

Là encore, on s’étonne que nos élites économiques ne le sachent pas non plus, ou qu’elles aient envisagé avec un certaine légèreté les conséquences potentielles de leurs idées de génie.

Ensuite parce que, si l’on embauche en CDD, c’est essentiellement parce que l’avenir est illisible, sur les différents plans fiscal, économique, social et même sécuritaire. Rien, dans le contexte actuel, ne permet aux entreprises de s’engager à long terme.

Certes le CDD, même s’il peut courir sur quelques mois ou sur quelques années, n’est pas aussi « rassurant » qu’un CDI.

Cela étant, ce contrat « graal » n’empêche pas non plus les licenciement massifs et conjoncturels : juste pour 2016, regardez Siemens et les 2 500 suppression de postes qu’elle a annoncés ; regardez aussi Volkswagen et les 3 000 emplois dont elle veut se débarrasser.

En revanche le CDD évite les stages, ou pire : elle freine ou limite les délocalisations ! Et je te mets la comptabilité en Hongrie, le centre d’appel à Barcelone et le centre de développement à Cracovie… Le tout sans le moindre frais pour l’entreprise qui détruit des emplois en France pendant qu’elle en crée ailleurs ; n’est-ce pas Renault…

Là encore on s’étonne une troisième fois, car enfin : qui embauche en CDD aujourd’hui ? Certainement pas les grandes entreprises internationales.

Depuis quelques années, elles seraient plutôt engagées dans la désindustrialisation structurelle, les délocalisations permanentes et les licenciements massifs. Tant pis si la remise en état des friches industrielles reste à la charge des contribuables…

N’est pas plutôt les PME qui embauchent en CDD, parce qu’elle ont besoin d’effectif mais veulent aussi conserver un pouvoir d’adaptation aux aléas de leur marché.

Question de survie, quand on sait avec quelle facilité les Banques, ces multinationales qui ne disent pas assez leur nom, leur accordent des lignes de crédit à court ou moyen terme.

À ce que l’on dit souvent dans les médias économiques, ce sont bien les PME et le TPME qui sont en premières lignes pour créer des emplois de proximité, de toute nature et souvent plutôt qualifiés.

Quand aux Multinationales, elles attendent pour agir une « flexibilité » de l’emploi et une baisse des coûts du travail, un travail très souvent sans qualification particulière ; processus industriel et automatisation obligent.

Position étrange d’ailleurs, car on se demande pourquoi, dans le même temps, les Japonais ou les Chinois bâtissent des usines en France… Sont-elles hors la loi, hors Urssaf, hors IS… bref, sont-elles totalement hors sol ?

Alors quel but poursuit-on vraiment quand on envisage de taxer les CDD ?

Qu’espère-t-on en alourdissant leur coût ? Favoriser les embauches ? Vraiment ?

J’ai du mal à croire que nos gouvernements soient incompétents à ce point ; même si la plupart d’entre eux ne connaissent pas le travail.

Comment imaginez, avec tous les outils statistiques à leur disposition, qu’ils ne connaissent pas l’état réel des PME/TPE françaises… Juste un aperçu rapide avec cet encadré paru dans Politique Magazine du mois de mars :

J’ai encore plus de mal à me convaincre qu’une certaine corruption pourrait les pousser à privilégier les multinationales au dépend des PME en créant de fait une « flexibilité » de l’emploi nocive au PME.

Imaginez le scandale… Non, c’est tout à fait inimaginable…

Même si tous ces braves gens ont tendances à fréquenter les mêmes endroits, aux mêmes moments, aux dîners au Cercle, par exemple, ou à Davos et à l’hôtel Interalpen, en Autriche, pour la conférence 2015 du Bilderberg.

C’est juste une question de bon goût « partagé »… Qui pourrait le leur reprocher ?

Reste alors l’explication électoraliste… Pour un patron de PME comme Fabrice Dariot (le PDG de Boursedesvols.com), ce facteur compte beaucoup dans les mauvaises décisions de nos élites gouvernantes ; il y ajoute aussi une faiblesse congénitale devant la force des Lobbys : « On ne fait plus que satisfaire des intérêts particuliers, au détriment complet de l’intérêt général… ».

Sans doute, sans doute.

Seulement voilà, même sous cet angle, on ne peut pas dire que la Loi El Khomry ait été abordée de la meilleure façon ; la menace initiale du 49.3 a encore du mal à passer dans bien des têtes.

Résultats tout le monde est vent debout, et les partis de gouvernements sont eux-mêmes divisés de l’intérieur…

Et puis, n’oublions pas non plus le soutien grandiloquent de nos élites politico-économiques, tous horizons politiques et médias confondus, pour l’auto-entreprenariat et « l’ubérisation » progressive des secteurs de services…

Quand on encense en permanence cette économie ultra « liquide » dans un contexte où l’emploi et le niveau des salaires sont sous la pression terrible du chômage et de l’immigration, il ne faut pas s’étonner plus que ça de l’inquiétude qu’on provoque partout.

Sauf chez les fonctionnaires et chez les employés de la SNCF, pour qui la « précarisation de l’emploi » veut seulement dire « qu’on est mieux au chaud quand il fait si froid dehors ».

Eux, c’est sûr, ils peuvent faire grève à la fin du mois, ils ne risquent pas de connaître l’expérience décrite ici :

www.causeur.fr/loi-travail-el-khomri

Il faut s’étonner encore moins des manifestations à répétition, notamment du côté des « jeunes », d’autant plus que ce théâtre était largement prévisible ; il est si répétitif d’ailleurs, que cela devient dérisoire et fatiguant.

Non qualifiés pour la plupart d’entre eux, ces « jeunes » sont de la chair à multinationales… leur précarisation galopante, ils la doivent à l’Éducation nationale bien plus qu’au Ministère du travail.

Qu’ils y pensent un peu, lorsqu’ils manifesteront le 17 mars prochain.

Mal préparée, mal présentée, à peine « débattue », si l’on peut parler ici de débat, la Loi El Khomry vient finalement ajouter un peu plus de pagaille à la confusion générale.

Et la pagaille, c’est bien connu, ça fait faire des bêtises.

Cette taxe sur les CDD en serait une belle… surtout qu’elle s’accompagnera si le gouvernement maintient la trouvaille de Maître Badinter, d’une obligation de respecter au sein des entreprises les convictions personnelles, religieuses ou autres, de leurs employés.

Selon ce génial juriste, la libre expression des croyances individuelles est absolument légitime pour tous les salariés et partout, y compris et surtout dans les entreprises.

Ça aussi, c’est excellent pour les PME…

C’est vrai quoi, chacun sait qu’elles ont les locaux ou les moyens financiers d’intégrer dans leur processus de production des temps de prières par exemple, ou ceux de m’accorder des jours « chômés » pour la Semaine Sainte,…

Le tout s’entend sans baisse de salaire, évidemment.

C’est amusant quand même, sans être complotiste, à force de voir tant « d’erreurs », on se demande si tout ça n’est pas un peu, voire beaucoup, fait exprès.

Bertrand Figuier